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Le circuit

Nous considérons un circuit basique: un amplificateur à émetteur commun avec un transistor bipolaire général: le BC547B.

 The BC547B in a Common Emitter amplifier setup.

A gauche, il y a la source de signal à amplifier, et R3 est la charge de sortie du circuit.

Nous utilisons LTSpice pour calculer le point d'opération du circuit et nous trouvons:

V(out):     3.42558     voltage
V(n003):     0.662143     voltage
V(n001):     12     voltage
V(n002):     0     voltage
Ic(Q1):     0.00244894     device_current
Ib(Q1):     8.37405e-006     device_current
Ie(Q1):     -0.00245732     device_current
I(C1):     6.62143e-019     device_current
I(R3):     0.0061171     device_current
I(R2):     0.00857442     device_current
I(R1):     8.37405e-006     device_current
I(V2):     6.62143e-019     device_current
I(V1):     -0.00857442     device_current

Estimation analytique du bruit

Comme déjà mentionné précédemment, un calcul approximatif analytique du bruit sert à vérifier si le modèle de SPICE utilisé a une bonne description du bruit du composant.  Pour des composants discrets, comme le modèle de bruit est incorporé dans SPICE même, normalement cela fonctionne.  C'est pour les modèles de circuits intégrés que c'est moins évident.  Dans notre exemple, nous nous attendons donc à une simulation SPICE qui est correcte, mais nous allons quand même l'illustrer avec un calcul analytique.

Nous allons utiliser un modèle très simple du transistor: le modèle Ebers-Moll dans sa forme la plus simple.  Le transistor lui-même a deux sources fondamentales de bruit: le bruit de grenaille du courant base-émetteur, et le bruit de grenaille collecteur-émetteur.  Ces deux bruits sont indépendants, car des flux de charges indépendantes.

Pour le cas du bruit de grenaille base-émetteur, nous pouvons donc établir le modèle de faible signal AC:

Small signal model collector-emitter shot noise

R2L est le circuit en parallèle de R2 et R3 (la résistance de charge), et est égal à 360 Ohm.  Re est la résistance dynamique base-émetteur égale à VT / IE avec VT = kB T/q = 26 mV.

Comme le courant émetteur calculé est de 2.46 mA, il en résulte que Re = 10.6 Ohm.

Alpha est la source de courant dynamique et peut être calculé à partir du bêta du transistor.  Nous estimons bêta comme le rapport du courant collecteur sur le courant de base.  Des calculs il en suit:

bêta = 2.45 mA / 8.37 μA = 293

alpha est donc 1 - 1/beta.

Il est vrai que nous commettons une erreur en confondant le gain large signal avec le gain petit signal, mais pour notre estimation, ce sera suffisant.  Le bruit de grenaille Isb est introduit entre l'émetteur (à la masse) et la base.  Ce bruit aura un spectre blanc et une densité spectrale:

Ssb(f) = 2 q IB = 2.68 10-24 A2/Hz

Nous pouvons résoudre le circuit linéaire.  Si nous utilisons la méthode de la tension des noeuds, et nous appelons le noeud 1: la base, et le noeud 2: le collecteur, il est possible de mettre les équations analytiques ainsi obtenus dans un programme (source ouverte) comme  wxMaxima.  Nous voulons trouver la fonction de transfert de la source Isb vers la tension de sortie, qui est v2 dans notre cas.  La solution du circuit nous donne v2 (en fonction de Isb, ce qui nous livre donc cette fonction de transfert).

Result of calculation transfer function base shot noise.

En mettant les valeurs numériques dans cette équation, nous trouvons que la tension de sortie est:

 v2 = - isb { 1.08 108 / (3.18 s + 1385)  Ohm }

Nous constatons que la fonction de transfert cherchée est une fonction avec un seul simple pole.

La valeur de la fonction de transfert pour les basses fréquences est  7.8 104 ohm.

Le pole se trouve àt 1385 / (2 π 3.18) Hz = 69 Hz.

La densité spectrale du bruit de v2 aura une contribution du bruit de grenaille de base-émetteur à basse fréquence:

S1(f = 0) = (7.8 104)2 2.68 10-24 V2/Hz = 1.63 10-14 V2/Hz = (128 nV)2/Hz

Ce bruit tombera à 20 dB/décade à partir de 69 Hz.

Nous pouvons répéter l'exercice pour le bruit de grenaille collecteur:

small signal model with collector shot noise source.

Le modèle faible signal est bien sûr le même que pour le bruit de grenaille de la base, mais il n'y a plus la source Isb, mais plutôt la source Isc.

La densité spectrale de la source est:

Ssc(f) = 2 q IC = 7.85 10-22 A2/Hz

Un calcul analytique similaire avec wxMaxima donne l'expression suivante pour la tension de sortie:

transfer function collector shot noise.

Avec les valeurs numériques, cela donne:

v2 = isc { (1145 s +1035) / (3.18 s + 1385) } Ohm

Cette fois, nous constatons que la fonction de transfert a un seul pole, et un seul zéro.  Le pole est le même que précédemment: donc à 69 Hz.  Le zéro se trouve à 0.14 Hz.

A des fréquences très basses (en dessous de 0.14 Hz), la fonction de transfert est: 1035/1385 = 0.75 Ohm.

Pour des fréquences très élevés (long au-dessus de 69 Hz), la fonction de transfert est 1145/3.18 = 360 Ohm (ce qui est essentiellement la résistance de charge R2L).

Pour des fréquences élevés (ici donc bien au-dessus de 69 Hz) la densité spectrale à la sortie est:

S2(f >> 69 Hz) = (360)2 7.85 10-22 = 1.02 10-16 V2/ Hz = (10.1 nV)2 / Hz

Comme en-dessous de 69 Hz, la fonction de transfert diminue par rapport à sa valeur aux fréquences élevés, la densité spectrale sera plus petite aussi.  Nous savons déjà que nous avons une contribution de la part du bruit de grenaille de la base égale à (128 nV) au carré par Hz.  La contribution du bruit de grenaille du collecteur sera donc totalement invisible.

Conclusion du calcul:

Nous attendons que la densité spectrale du bruit à des fréquences en dessous de 69 Hz d'être autour de (128 nV)2 / Hz, dominé par le bruit de grenaille de la base.  Ensuite nous nous attendons à ce que la densité spectrale chute à un taux de 20 dB par décade, jusqu'à  (10.1 nV)2 / Hz.  La densité spectrale devrait alors rester constante jusqu'à des fréquences élevés où notre modèle ne marche plus.  Dans cette plage, c'est le bruit de grenaille du collecteur qui domine.

Notez que nous n'avons pas fait un calcul complet.  Nous n'avons pas fait le calcul pour les bruits thermiques des résistances R1 et R2L.  Il s'avère que leurs contributions sont négligeables dans ce cas-ci, mais c'est quelque chose qu'on ne peut savoir que quand on fait le calcul bien sûr....

Simulation SPICE du bruit

Le calcul de la densité spectrale du bruit par LTSpice donne comme résultat:

LTspice spectral estimation output noise.

Notez que la quantité montré par défaut est la racine carré de S(f), en unités de V par racine de Hertz.

Nous constatons que notre calcul analytique est en très bon accord avec le calcul SPICE.  A gauche sur le graphique, nous ne sommes pas loin de 128 nV par racine de Hertz, et au milieu, nous sommes bien autour de 10 nV par racine de Hertz.

Le simulateur SPICE nous permet d'intégrer la densité spectrale, ce qui nous donne la valeur RMS du bruit de tension: il s'avère être 184 μV. C'est une valeur assez élevé.  Si nous prenons un échantillon de la tension de sortie à un moment t, il y aura une erreur dû au bruit qui sera distribué (présumé Gaussienne) avec une déviation standard de 184 microvolt.

Bruit réduit à l'entrée

Si nous nous intéressons essentiellement au comportement de l'ampli dans la bande du milieu, et nous voulons réduire le bruit à l'entrée, nous pouvons facilement calculer que le (10.9 nV)2 / Hz se réduit à une densité spectrale équivalente de (0.35 nV)2 / Hz.  En intégrant nous obtenons une valeur RMS  du bruit d'entrée équivalent de 11.9 μV.

Comme nous avons vu que le bruit dans la bande du milieu est dominé par le bruit de grenaille du collecteur qui a une densité spectrale proportionnelle au courant collecteur, qu'il suffit de réduire ce courant pour faire baisser le bruit de sortie.  Nous pouvons faire cela facilement en changeant R1 de 330K à 1600K et en changeant R2 de 1K à 5K.  Nous gardons bien sûr la charge de 560 Ohm, car c'est considéré comme une donnée externe au circuit.  Le courant collecteur est maintenant réduit de 2.44 mA à 0.10 mA.  Le courant de base est réduit de 8.37 μA à 0.36 μA.  Avec ces paramètres, SPICE nous indique que la densité spectrale du bruit de tension de sortie est maintenant (4.1 nV)2 / Hz, ce qui est effectivement plus que deux fois inférieur au bruit qu'on avait avant.  Seulement, le gain de l'ampli a baissé aussi, et maintenant le bruit équivalent réduit à l'entrée est (2.06 nV)2 / Hz au lieu de (0.35 nV)2 / Hz,et la valeur RMS ce ce bruit équivalent est  35.4 μV.  Nous voyons qu'avec un courant collecteur plus faible, l'entrée est en fait plus polluée qu'avec un courant collecteur plus élevé, même si la sortie est plus bruyante.

Si cet amplificateur est supposé traiter de l'information à l'entrée dans le signal de tension d'entrée, et si nous estimons que la bande passante utile est à peu près la bande passante de l'ampli qui est, selon SPICE, 200 MHz, alors en supposant que la valeur RMS du signal d'entrée est 10 mV, nous pouvons utiliser le théorème de Shannon pour déterminer que l'amplificateur original peut transmettre 2 Gb/s d'information du signal d'entrée.  Avec le courant du collecteur réduit, cela baisse à 1.6 Gb/s.

Conclusion

L'estimation analytique, sur la base d'un modèle très simple du composant, nous a montré que le calcul SPICE a bien pris en compte les sources de bruit fondamentales du composant, à savoir le bruit de grenaille de la base et du collecteur.  Le calcul analytique nous indique aussi quels sont les sources dominantes: le bruit de grenaille de la base est dominant à basse fréquence, le bruit de grenaille collecteur domine dans la bande passante du milieu.  Le bruit thermique des résistances est négligeable.

Le fait que se soient des sources fondamentales de bruit qui dominent veut dire qu'avec un même point de bias, le bruit du circuit n'est pas dépendant de la technologie de fabrication du transistor: n'importe quel autre transistor aurait donné le même niveau de bruit.  Comme dans la bande passante du milieu, c'est le bruit collecteur qui domine, cela veut dire que même un transistor avec un bêta plus grand ne changera pas le bruit de sortie (mais il diminuera le bruit équivalent d'entrée).

Si nous avions physiquement construit ce circuit, nous aurions pu comparer ces calculs à une mesure.  Comme il n'est physiquement pas possible d'avoir moins de bruit que ce qu'indique le calcul (se sont des sources fondamentales inévitables), cela veut dire que si nous constatons un bruit plus élevé que ce que nous avons calculé, il y a des sources de bruit technologiques qui ne sont pas pris en compte dans le modèle SPICE, ou que nous souffrons de perturbations CEM.